Environ 60% des 3000 chirurgiens-dentistes diplômés au Maroc exercent tous à Casablanca et à Rabat. Par ailleurs, il existe entre 2000 et 5000 arracheurs de dents non-diplômés qui opèrent encore en toute illégalité. La plupart sont installés dans des petits villages. Un proverbe dit: "Mentir comme un arracheur de dents". Son explication réside dans le fait qu'anciennement, les arracheurs de dents disaient toujours que ça ne ferait pas mal, lorsqu'ils nous arracheraient une dent.
Pourtant on sait bien que ça fait mal lorsque notre bouche n'est pas sous anesthésie. Amina vient de payer les frais d'un tel mensonge. Elle avait mal, très mal aux dents un soir. Elle avait une "rage de dents" qui est l'une des douleurs les plus communes mais aussi les plus évitables si on accorde un minimum d'attention à sa santé dentaire.
La cause est la carie qui se manifeste par l'apparition de cavités et d'anfractuosités dans les dents. Pour elle, la seule solution de calmer, une fois pour toutes, la douleur est de faire quelques pas chez l'arracheur des dents qui se trouvait à proximité de sa résidence. Ce dernier opérait chez lui. Deux dents arrachées, en l´espace de quelques minutes et sans anesthésie locale. Trois jours après cette intervention supposée être chirurgicale, Amina est transportée d'urgence à l'hôpital. Sa bouche a été infectée.
Les dégâts étaient si énormes qu'il a fallu plusieurs jours à un médecin spécialiste pour les réparer. Au Maroc et en dépit des lois en vigueur, l'exercice illégal de la chirurgie dentaire est toléré. On n'a pas prêté une grande importance à la formation.
Ce n'est qu'en 1981 que l'on a ouvert deux facultés de médecine dentaire, à Rabat et à Casablanca. Les soins dentaires ont été assurés depuis toujours par des arracheurs de dents, des charlatans qui exercent leur activité à domicile, en circulant de douars en douars ou sur les places de marché local deux à trois fois par semaine. Ils manquent de matériel, les conditions sanitaires dans lesquelles ils travaillent sont déplorables et les soins prodigués se limitent très souvent à l'arrachage de dents. Outre le fait qu'ils arrachent des dents pouvant être soignées, nombreuses sont les infections et les allergies aux anesthésiants périmés utilisés. Les chirurgiens dentistes ont à maintes reprises soulevé la question des arracheurs de dents qui pratiquent dans l'illégalité absolue une profession qui n'est pas la leur. En effet, la législation dans ce domaine est, on ne peut plus, claire.
Le Dahir de février 1960 a réglementé l´exercice de la chirurgie dentaire comme d´autres professions libérales.
Le code de déontologie des médecins dentistes dispose dans son article 5 qu'"en aucun cas le médecin dentiste ne doit exercer profession à titre privé dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes relevant de l'exercice de son art". L'article 11 souligne que " la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce.
Sont notamment interdits :
1) L'exercice de la profession dentaire en boutique ou en tout local où s'exerce une activité commerciale ;
2) Tous procédés directs ou indirects de réclame ou de publicité ;
3) Les manifestations spectaculaires touchant à la médecine dentaire et n'ayant pas exclusivement un but scientifique ou éducatif".
Cependant, la pratique illégale de la chirurgie dentaire reste tellement répandue. Charlatans et autres praticiens illégaux élisent domicile dans des tentes de fortune installées dans la rue à l'occasion de l'organisation des souks hebdomadaires ruraux. Pour vaincre les appréhensions du public, ils organisent de véritables spectacles.
Lorsque la dent est arrachée, (la seule opération qu'ils savent pratiquer) elle circule dans les rangs du public édifié. Selon le Dr. Sebti, " l'une des raisons qui pousse les gens à recourir aux charlatans est le coût élevé pratiqué par les chirurgiens-dentistes diplômés. Vous savez que dans la chirurgie dentaire, il existe l´acte normal de soins et l'acte de la prothèse. Ce dernier acte nécessite des matériaux nobles. Aucun de ces matériaux n´est fabriqué au Maroc et la législation douanière les considère comme des produits de luxe fortement taxées. Et puis, l´investissement en matériel est lourd.
Ajoutez à cela, les frais de fabrication des prothèses ". Le comité national d'action et de lutte contre l'exercice illégal de la chirurgie au Maroc propose l'intégration des praticiens non diplômés après une mise à niveau technique et un apprentissage des règles d'hygiène.
El Mahjoub Rouane
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