Stèle du Code |
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La stèle du code de Hammurabi, faces avant (à gauche) et arrière (à droite) - Musée du Louvre
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Le Code de Hammurabi est essentiellement connu par une stèle dont les
deux fragments principaux ont été exhumés par des fouilleurs français
en décembre 1901 et en janvier 1902 à
Suse, ancienne capitale de l'
Élam qui est désormais située dans le sud-ouest de l'
Iran (province du
Khuzistan)
5. Elle y avait été apportée vers 1155 av. J.-C. en compagnie d’autres monuments babyloniens (comme la
Stèle de victoire de
Naram-Sîn d'Akkad ou divers
kudurrus) par les rois élamites qui avaient conquis et pillé les grandes villes de
Babylonie. L'origine exacte de cette stèle est peut-être le temple du dieu-soleil
Shamash situé à
Sippar, au nord de
Babylone, à moins qu’elle ne provienne de cette dernière
6. Les fouilleurs français ont emporté la stèle au Musée du Louvre, tandis que le père
Jean-Vincent Scheil publiait sa première traduction dès 1902
7.
Détail du bas-relief de la stèle :
Hammurabi face au dieu
Shamash.
La stèle mesure 2,25 mètres de haut et 55 centimètres de large environ, taillée dans un monolithe de
basalte noir extrait dans les montagnes du
Zagros ou de Haute Mésopotamie
8. Son sommet cintré est sculpté en bas-relief sur le devant. Y est représentée une scène de rencontre entre le roi
Hammurabi et le dieu
Shamash.
Le roi, représenté à gauche, se tient debout la main droite levée en
signe de respect. Il porte une longue barbe, est coiffé d’un bonnet à
rebord large et vêtu d'une longue robe à plis verticaux. Le dieu-soleil
Shamash, situé à sa droite, est assis sur un trône. Il porte la tiare à
cornes caractéristique des divinités, une longue barbe et une robe à
volants. Il est identifié comme le dieu-soleil par les rayons qui
jaillissent au-dessus de ses épaules et les trois rangées d’écailles sur
lesquelles il pose ses pieds, qui représentent les montagnes de l'est
que le soleil franchit tous les matins. Il remet au roi les insignes de
la royauté, le bâton et un objet circulaire (anneau ou cercle) qui
symbolisent l'équité
9.
Ce bas-relief est de facture classique par son style et sa
composition ; il s'inspire notamment des scènes de « présentation »
courantes sur les
sceaux-cylindres depuis la fin du
IIIe millénaire. Le choix de Shamash est lié à sa fonction de dieu de la justice
10.
Le reste de la stèle porte le texte du Code, la plus longue inscription en
cunéiforme continue qui soit connue. Le texte est gravé en langue
akkadienne (dans sa variante dite « vieux-
babylonien ») dans des signes cunéiformes volontairement archaïsants, qui reprennent la graphie courante dans les inscriptions des rois d'
Akkad et d'
Ur III et non celle caractéristique de sa période de rédaction, un peu comme
la graphie d’inspiration romaine est restée courante dans les
inscriptions officielles européennes à l'époque moderne. Le choix
d'inscrire le texte dans des cases procède de la même idée. La lecture
se fait verticalement dans les cases, qui dans les transcriptions
scientifiques sont présentées tournées à 90° dans le sens inverse des
aiguilles d'une montre pour être lues en lignes horizontales de gauche à
droite. Sur la stèle, le passage d'une case à l'autre se faisait de
droite à gauche (de bas en haut dans les publications scientifiques),
les cases étant donc regroupées en rangées (ou colonnes), lesquelles se
succèdent de haut en bas. Il n'y a aucun système de ponctuation et pas
de marque de césure entre les grandes sections du texte ou entre les
« articles » qui ne sont que des constructions des traducteurs modernes.
Le texte comportait environ 4 000 cases à l'origine, mais sept rangées
manquent en bas de la face, effacées par les
Élamites qui ont emporté la stèle, sans doute dans le but d'y graver une
inscription à la gloire de leur propre roi, ce qu'ils n'ont jamais eu
l'occasion de faire
11. Si la stèle permet de connaître l'essentiel du texte, il y a néanmoins une lacune à partir de l'article 66.
Autres exemplairesTablette de copie du prologue du Code, première moitié du
XVIIIe siècle av. J.-C. (sans doute antérieure à la rédaction de la stèle),
Musée du Louvre.
Le Code de Hammurabi était vraisemblablement gravé sur d’autres stèles disposées dans d'autres grands sanctuaires de
Babylonie mais qui n'ont pas été retrouvées, à moins que d’autres fragments trouvés à
Suse n'en soient issus
12.
Une partie des lacunes de la stèle peuvent néanmoins être complétées
par la quarantaine de copies d’extraits du Code inscrits sur des
tablettes d'argile mises au jour sur divers sites mésopotamiens, qui
apportent également des informations sur l'existence de légères
variantes du texte. Une copie du prologue présente ainsi une variante
sur la forme (une registre de langue plus simple) mais aussi sur le fond
(la liste des bienfaits du roi est moins complète que celle de la
stèle, dénotant une rédaction antérieure). Les copies les plus récentes
datent de la
période néo-assyrienne (911-609 av. J.-C.), ce qui montre que le Code de Hammurabi est resté
un modèle scolaire ou juridique transmis pendant au moins un millénaire
13.
Organisation et nature du texteLe texte du Code de Hammurabi est divisé en trois parties : un
prologue historique en langue littéraire commémorant les
accomplissements de Hammurabi en sa fin de règne ; les « lois » ou
décisions de justice rendues par le roi ; et un épilogue formulant la
volonté que le texte transporte la parole du roi à travers les âges et
ne soit pas altéré sous peine de malédictions. Cette structure est
partagée avec les deux autres « codes » de la Mésopotamie ancienne qui
nous sont connus, le
Code d'Ur-Nammu roi d'
Ur, rédigé autour de 2100 av. J.-C.
14, et le
Code de Lipit-Ishtar roi d'
Isin, rédigé vers 1930 av. J.-C.
15.
En tant que texte législatif, ce dernier partage des points communs
avec d’autres textes qui eux ne sont pas encadrés par un prologue et un
épilogue : les
Lois d'Eshnunna qui datent à peu près de la même période (et étaient peut-être un « Code », mais le prologue et l'épilogue ne sont pas connus)
16, les
Lois assyriennes compilées autour de 1100 av. J.-C.
17, des recueils de lois babyloniennes du
VIe siècle av. J.-C.18, ou, hors de Mésopotamie, les
Lois hittites compilées et remaniées à plusieurs reprises entre 1600 et 1400 av. J.-C.
19.
La présence d'un prologue et d'un épilogue caractéristiques des
inscriptions royales commémoratives à la gloire des monarques
mésopotamiens, notamment celles vantant leur sens de la justice et de
l'équité et visant à le rapporter aux générations futures, qui trouvent
leurs racines dans les inscriptions relatives aux « réformes » d'
Urukagina de
Lagash (vers 2350 av. J.-C.) a fait que les
assyriologues ont plutôt interprété le Code de Hammurabi comme un document avant tout
politique. Ils relativisent ainsi les interprétations traditionnelles
sur la porté des « lois », qui n'avaient pas la portée législative de
celles contenues dans les Codes modernes mais plutôt une fonction de
modèle, certains replaçant le genre des compilations de décisions de
justice dans la tradition des listes à but pédagogique et technique
comme il en existait pour d'autres disciplines, en faisant donc une
sorte de manuel juridique
20.
Quoi qu'il en soit, les interprétations juridique, politique et
technique du Code de Hammurabi ne s'excluent pas forcément, ce texte
étant issu d'une tradition longue et combinant plusieurs objectifs
21.
Le prologue : Hammurabi, roi de justiceL'extension du
royaume babylonien à la fin du règne de Hammurabi vers 1750 av. J.-C. (en vert foncé), connue en grande partie grâce au prologue du Code.
Le prologue se présente comme une inscription royale de facture classique à la gloire de
Hammurabi.
Il détaille les accomplissements du roi au moment où son règne touche à
sa fin, notamment les temples qui ont bénéficié de ses bienfaits, en
lien avec leurs divinités, sur ce modèle :
« C'est moi, Hammurabi, le pasteur nommé par Enlil. Celui qui a
accumulé abondance et profusion, qui a parachevé toutes les choses pour
Nippur le lien du ciel et de la terre, le pourvoyeur zélé de l'Ekur (le temple d'Enlil à Nippur), le roi compétent qui a restauré Eridu (et) qui a maintenu purs les rites de l'E-abzu (le temple d'Ea à Eridu),
celui qui a pris d’assaut les quatre contrées du monde, qui a grandi le
renom de Babylone, qui a contenté le cœur de Marduk son seigneur
(etc.). »
— Prologue du Code
22.
Le prologue est souvent utilisé pour dresser un tableau de l'étendue
du royaume après la quarantaine d’années de règne de ce souverain, qui a
fait de
Babylone le plus puissant royaume de la
Mésopotamie alors qu'auparavant il était une puissance de second rang. Sont d'abord
énumérés des couples ville-divinité ordonnés suivant un objectif
politico-théologique : d'abord les divinités pourvoyeuses de la royauté,
Enlil de
Nippur,
Ea d'
Eridu et
Marduk de
Babylone ; puis les divinités astrales
Sîn d'
Ur,
Shamash de
Sippar et
Larsa,
An et
Ishtar d'
Uruk. La suite reprend un ordre plus géographique : villes de
Babylonie centrale (
Isin,
Kish, Kutha,
Borsippa, Dilbat, Kesh), puis des villes bordières du
Tigre (
Lagash-
Girsu, Zabalam, Karkar, Adab,
Mashkan-shapir, Malgium) et enfin les grandes villes du nord de la Mésopotamie que Hammurabi a conquis en sa fin de règne, à savoir
Mari,
Tuttul,
Eshnunna,
Akkad,
Assur et
Ninive23.
Le prologue vise donc à donner une image de Hammurabi répondant aux
canons du roi mésopotamien idéal : un souverain pieux aimé des dieux, un
roi guerrier qui obtient la victoire grâce à leurs faveurs, mais avant
tout un « roi de justice » (
šar mišarim) inspiré par les dieux :
« Lorsque l'éminent Anu, le roi des Anunnaku,
et Enlil, le seigneur des cieux et de la terre, qui fixe les destins du
pays, eurent attribué à Marduk, le fil aîné d'Ea, le pouvoir d'Enlil (la royauté)
sur la totalité des gens, l’eurent rendu grand parmi les grands, eurent
donné à Babylone un nom éminent et l'eurent rendue hors paire parmi les
contrées, […] alors c'est moi, Hammurabi, prince zélé qui craint les
dieux, que, pour faire apparaître la justice dans le pays, pour anéantir
le méchant et le mauvais, pour que le fort n'opprime pas le faible,
pour sortir comme Shamash au-dessus des têtes noires (les hommes) et éclairer le pays, Anu et Enlil ont appelé par mon nom pour procurer du bien-être aux gens. »
— Prologue du Code
24.
L'idéal de roi de justice est notamment porté par les termes
kittum, « la justice en tant que garante de l'ordre public », et
mišarum, « justice en tant que restauration de l'équité »
25. Il s'affirmait en particulier lors des « édits de grâce » (désignés par le terme
mišarum),
une rémission générale des dettes privées dans le royaume (y compris la
libération des personnes travaillant pour une autre personne pour
rembourser une dette), visant à restaurer un ordre ancien (idéalisé) en
temps de crise ou bien au début du règne d'un souverain (ce qui ne
résolvait pas les crises profondes car ne s'attaquait pas à leurs causes
structurelles)
26.
Les « lois » : organisation et formationLes « lois » du Code de Hammurabi constituent la partie la plus
longue du texte et celle qui est la plus importante aux yeux des
commentateurs modernes. Leur premier traducteur, J.-V. Scheil, les a
découpées en 282 articles (découpage qui n’est pas explicite dans le
texte ancien), en considérant que la lacune du bas de la face de la
stèle va du § 65 au § 99, ce qui est peut-être trop
27.
Pour désigner ces sentences, l'épilogue du Code met surtout l'accent
sur le fait qu'elles ont été prononcées par Hammurabi en tant que roi du
justice dans un but de glorification. Il emploie surtout le terme
awātum qui peut être traduit par « parole » ou « cas (juridique) », parfois plus précisément
awāt mišarim, « paroles de justice »
28 ou
awātiya šūqurātim, « mes paroles précieuses »
29, et parfois
dīnum, « procès », « cas », notamment sous la forme
dīnāt mišarim, « sentences de justice »
30.
Ces lois sont formulées de façon casuistique : elles prennent pour
point de départ un cas dont elles proposent la solution. C'est la façon
typique de raisonner des anciens Mésopotamiens, qui n’énoncent jamais de
principes de portée générale, et que l'on retrouve dans les traités
scientifiques de l'époque (notamment de médecine et de divination)
31. Les propositions fonctionnent autour d'une première partie, la protase, introduite par la conjonction « si » (
šumma) qui ouvre une proposition conditionnelle dans laquelle est exposé le problème, à l'
aspect accompli qui est généralement traduit par un présent ou un passé de l'indicatif dans les langues modernes
32. La seconde partie est l'apodose, qui propose la sentence à rendre, énoncée à l'
aspect inaccompli, généralement traduit par un futur. Voici par exemple le § 1 :
« šumma awīlum awīlam ubbirma nērtam elišu iddīma la uktīnšu / mubbiršu iddâk
Si quelqu'un a accusé quelqu'un (d'autre) et lui a imputé un meurtre
mais ne l'a pas confondu / son accusateur sera mis à mort. »
— § 1 du Code
33.
D. Charpin a identifié trois sources à l'origine de la mise en forme
de ces « lois ». La première est l'exemple des recueils juridiques plus
anciens, dont certains articles ont pu servir de modèles pour ceux du
nouveau recueil. Une autre source est l'activité judiciaire du roi et
des autres juges babyloniens. On a ainsi pu relier des comptes-rendus de
jugements rapportés par des tablettes du temps de Hammurabi à des
articles du Code, les premiers ayant manifestement inspiré les seconds.
Enfin, un processus de systématisation à partir de cas existants a pu
entraîner la création d'articles qui ne sont alors que la variation d'un
cas avéré. Ainsi, les § 17 à 20 envisagent différents cas pour une
personne ayant capturé un esclave fugitif : s'il choisit de le
restituer, il le rapporte à son maître si l'esclave donne son nom, ou
bien au palais si l'esclave ne donne pas le nom, il peut aussi le garder
pour lui auquel cas il est passible de la peine de mort, ou encore
voire l'esclave fugitif lui échapper à son tour
34.
Pour J. Bottéro la formulation casuistique indique que c'est une sorte
de manuel de science juridique à l'image des manuels de divination, de
médecine, d'exorcisme ou autres qui avaient le même type de formules et
avaient vraisemblablement été constitués suivant la même démarche mêlant
empirisme et systématisation
35.
Le corpus des lois est arrangé de façon thématique, par association d'idées, qui peut en gros se découper comme suit :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Code_de_Hammurabi