Les enquêtes
Le 24/02/2011 à 08:00
- Mis à jour le 24/02/2011
à 08:00
Energie solaire : ça chauffe pour deux pontes d’EDF
Des dirigeants d’EDF, ayant des intérêts à titre personnel dans le
solaire, ont anticipé la décision du gouvernement de baisser les prix
dans la filière. Manœuvres d’initiés ? Voilà un homme prévoyant. En août 2010, Pâris Mouratoglou, le P-DG d’EDF
Energies nouvelles, a demandé en toute urgence l’autorisation
d’augmenter ses capacités de production photovoltaïques. Et pas qu’un
peu. Son dossier portait sur près de 1 000 mégawatts, l’équivalent d’un
gros réacteur nucléaire. On croyait la filière solaire en surchauffe.
Miracle : les dossiers de ce polytechnicien avisé ont été largement
validés. Un vrai pactole en perspective : la filiale «écolo» d’EDF
pourrait ainsi encaisser 400 millions d’euros de chiffre d’affaires par
an pendant vingt ans. Quant à Mouratoglou, qui détient à titre personnel
25% du capital de cette société cotée, il pourra arrondir son
patrimoine professionnel, à ce jour de 600 millions d’euros.
Coup de génie ou manœuvres d’initié ? Dans le petit milieu des panneaux
solaires comme à Bercy, où cette histoire commence à s’ébruiter, tout
le monde se pose la question. L’affaire est en effet troublante à plus
d’un titre. Car si EDF Energies nouvelles (EDF EN) a mis les bouchées
doubles en août 2010, ce n’est pas tout à fait par hasard. Quelques
semaines plus tôt, Christine Lagarde et Jean-Louis Borloo avaient
commandé un audit à l’inspection générale des Finances sur la filière
photovoltaïque. Le rapport, remis au gouvernement fin juillet mais rendu
public le 3 septembre, préconisait, pour calmer la spéculation, une
baisse de 12% des très généreux tarifs de rachat de l’électricité
solaire depuis 2000, EDF a en effet l’obligation d’acquérir cette
énergie au prix fort. Et le gouvernement a suivi les experts : la baisse
est devenue effective le 1er septembre. Mouratoglou était-il au courant
?
La procédure suivie par EDF EN surprend aussi. Jusqu’alors, la
profession croyait que le guichet pour déposer ses projets de panneaux
solaires était ERDF, la filiale d’EDF chargée des réseaux moyenne et
basse tension. Et ce guichet était très engorgé. Surprise, l’équipe de
Pâris Mouratoglou a déposé les siens à RTE, une autre filiale d’EDF
chargée des lignes à haute tension dont personne ne savait qu’elle était
aussi habilitée à traiter les dossiers. Une porte dérobée, en quelque
sorte, où il n’y avait pas de file d’attente à subir.
Tout ça est un gros fantasme, rétorque en substance David Corchia, le
bras droit de Mouratoglou et directeur général d’EDF EN, pour qui la
baisse des tarifs était un secret de Polichinelle. «Notre
métier, c’est de prévoir, d’anticiper. Nous avons effectivement
déposé des demandes pour 1 000 mégawatts. Seuls 600 ont été acceptés
dans les délais impartis», assure-t-il. Quant au choix du guichet RTE,
il s’expliquerait par la taille des projets. «D’autres y ont déposé des
demandes ; nous n’étions donc pas les seuls à connaître cette
procédure.» A entendre Corchia, il ferait même œuvre de salut public :
soucieux de voir émerger une filière de production industrielle en
France, EDF EN s’est engagé à racheter la totalité des panneaux que
l’américain First Solar espère produire en 2012 à Blanquefort, près de
Bordeaux (le projet a été récemment mis en suspens). Or il faut bien
leur trouver des débouchés.
Il y en a un, en tout cas, que cette valse de mégawatts ne surprendra
pas, c’est André Merlin. Début 2010, cet autre polytechnicien et grand
spécialiste du transport d’électricité a été sorti de sa retraite par le
P-DG d’EDF, Henri Proglio, pour prendre la double présidence d’ERDF et
de RTE, les deux guichets évoqués plus haut. Mais, comme Capital l’a
découvert, ce ponte a omis de signaler un petit conflit d’intérêts. Peu
avant sa nomination, André Merlin avait en effet participé à la création
de BlueWatt, une société qui donne elle aussi dans le photovoltaïque.
«Je n’avais que 5% du capital et je les ai cédés au printemps 2010, nous
indique-t-il. Je n’ai retiré aucun bénéfice de cette affaire.» Laurent
Samama, le président de BlueWatt, indique de son côté que son entreprise
n’a fait aucun chiffre d’affaires en 2010. Certes, mais elle en a pour
des dizaines de millions dans les tuyaux. C’est toujours compliqué de
parler chiffres avec les X.
Leslie Varenne.